Complicité
Vous avez sans nul doute déjà dû vivre cela, être installé profondément dans ses pensées brumeuses et observer son environnement proche de manière machinale sans idée particulière ou sans idée fixe et en se laissant envahir par une sorte de sérénité ambiante.
Il y a quelque temps de cela, durant quelques jours de congés, mon épouse et moi étions assis côte à côte sur une plage de sable, savourant la légère brise d’une fin de journée et l’étendue de sable fin qui nous dépaysaient tant de nos montagnes quotidiennes. Nous étions là tous deux à savourer silencieusement cette possibilité de pouvoir observer l’horizon avec le scintillement du soleil couchant sur la surface de la mer.
Le flux et le reflux de l’eau créaient une sorte de sonorité récurrente dont on avait tous les deux oubliés le tempo. La plage désertée offrait le spectacle des mouettes qui ne cessaient d’aller et venir sur la plage comme un ballet improvisé présentant ainsi toute la dimension spatiale de cet endroit.
Mon regard fut soudain attiré par un couple d’un certain âge qui marchait à la lisière de l’eau, les pieds nus éclaboussés d’écume et main dans la main comme au premier jour. Chacun tenait dans sa main libre ses propres souliers. D’un pas lent mais très assuré, ils longeaient cette frange particulière à la limite de l’eau et du sable comme pour savourer l’onctuosité d’un massage naturel qui semblait bien faire partie de leur quotidien rituel.
Leurs tenues vestimentaires témoignaient d’un soin particulier, avec une connotation décalée qui imposait le respect de leur âge, de leur complicité et du romantisme qui se dégageaient d’eux. Ils avançaient tous deux avec une régularité sans faille, s’autorisant parfois un arrêt de quelques instants en se tournant vers la mer, comme pour vérifier si le soleil les accompagnerait encore le temps de leur balade.
Parvenus à ma hauteur, j’entrevoyais quelques mouvements de lèvres qui pouvaient supposer un échange verbal aussi affectueux que leur posture. Elle ne portait que ses souliers, d’un style sobre en cuir naturel retourné, vêtue d’un haut crème assez ample et d’une jupe drapée noire s’arrêtant à mi-mollets et qui avait déjà visiblement essuyée quelques vagues rebelles.
Lui, portait une chemisette à manche courte de tonalité claire avec une pointe rosée et un short long kaki ample qui lui laissait apparaître les genoux. Il était coiffé d’une casquette grise de joueur de pétanque qui lui assurait une élégance à l’ancienne digne des films d’après guerre. Il tenait en main sa paire de chaussures dont on percevait le dessin des semelles. Un sac à dos d’une couleur verte et franche, garni de tirettes blanches, était suspendu à ses épaules et laissait supposer un contenu plutôt allégé.
Il émanait d’eux une complicité amoureuse qui rayonnait à chacun de leurs pas avec cette sérénité et cette douceur que seules les nombreuses années de vie commune pouvaient façonner de cette manière. On pouvait, sans en connaitre les détails, aisément imaginer les évolutions et les tranches de vie traversées.
Je ne résistais pas au fait de crobarder rapidement leurs silhouettes et ainsi mémoriser ce couple si attachant. Le temps m’était compté, car leur allure régulière les emporta rapidement dans la perspective de cette plage ondulante. Je ne distinguais déjà plus que deux points sombres et je conservais entre mes mains le croquis que je venais d’achever pour me permettre de retraduire plus tard et le plus fidèlement possible sur une toile cet instant de bonheur.
Leur passage devant nous, puis chemin faisant leur éloignement, nous avaient, mon épouse et moi, totalement captivé. Nous étions là, assis côte à côte, en se tenant le bras, l’esprit chargé de complicité et l’envie magistrale d’emprunter à notre tour un bout de chemin en lisière de rivage pour rentrer à notre hôtel. Cette oeuvre a été réalisée récemment et je vous invite à la découvrir ici… bonne balade